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  4. Les aspects économiques de la Constitution européenne

Compte-rendu de la conférence de Joël Priolon

Janvier 2006

Joël Priolon
Tout d’abord, je tiens à dire que je suis un fervent partisan de la construction européenne. Le développement économique commun avec le traité de Rome en 57 puis l’acte unique européen en 86 fut le vecteur d’une ambition politique : assurer la paix en Europe. Et de ce fait, l’Union Européenne est en paix depuis 50 ans...

Comment peut-on assurer l’indépendance politique de la BCE alors que le gouverneur de la BCE (M.Trichet) et le directoire sont nommés par le conseil européen et le président de la commission ? (conseil européen=ensemble des chefs d’Etats)
Parce qu’une fois nommés, ils sont irrévocables pendant huit ans. Ce qui n’implique pas que M.Trichet peut faire ce qu’il veut, car il doit assurer les statuts de la BCE comme le dit le traité de Maastricht. L’objectif central de la BCE est la lutte contre l’inflation, c’est-à-dire la garantie des prix fixes. Mais la BCE a quand même un pouvoir considérable : celui de fixer le taux directeur, c’est à dire celui auquel elle prête aux banques nationales. Si ce taux est bas, elle favorise directement le développement économique.

N’est-ce pas justement dangereux qu’un tel pouvoir échappe à tout contrôle politique ?
Les pressions politiques existent quand même. Mais la BCE doit rester indépendante pour garantir la confiance des citoyens en leur monnaie. En effet, si l’état contrôle la banque, elle peut l’utiliser pour financer ses dépenses grâce à l’impression de billets. Cela entraîne alors l’effondrement de la monnaie, et donc une perte de confiance et de graves problèmes économiques. Ici, l’indépendance empêche les manipulations politiques. La confiance en la monnaie se base aussi sur la confiance dans les institutions. D’ailleurs, l’histoire en donne la preuve : quand la Bundesbank a lancé le deustchmark après la guerre, il valait moins qu’un franc français. Mais la Bundesbank était indépendante politiquement, et pas la banque de France. En 1991,un DM valait 3.3 francs...le franc avait énormément baissé.

Le Parlement Européen va-t-il prendre de plus en plus de poids ?
Oui, car il peut de plus en plus prendre des initiatives. La préparation de projets par exemple constitue une certaine force d’influence.

Aux Etats Unis, les objectifs de la banque sont certes garantir des prix stables, mais aussi favoriser la croissance. Ce dernier objectif n’apparaît pas dans les statuts de la BCE, bien que tous l’aient en tête. Pourquoi ?
Pour une raison historique : les banquiers allemands, lors de la mise en place de la monnaie unique, étaient très réticents à ce projet. En effet, la Bundesbank et le deustchmark ont eu un rôle crucial dans la formidable reconstruction économique et politique de l’Allemagne d’après guerre, et ils y tenaient beaucoup. Ils finirent par adopter l’euro sous la condition que certains statuts de la BCE soient ceux de la Bundesbank...

Quels sont les changements économiques que prévoit la Constitution ?
Aucun.

Comment garantit-on que la Constitution soit bien respectée, une fois votée ?
L’engagement moral de chaque Etat. La Constitution est un traité, c’est-à-dire un accord juridique international entre Etats. Quand le traité est ratifié, les instances de chaque Etat s’engagent à le faire respecter. On s’engage sur un droit juridique commun. Mais il n’existe pas de “puissance supérieure” qui ferait la police...

L’élargissement de l’Europe ne risque-t-il pas de ralentir la croissance économique des pays de l’Ouest pour permettre le développement des pays de l’Est ?
On s’est posé la même question en 80, quand la Grèce et le Portugal sont rentrés dans l’UE. Mais au final, cela n’a eu aucun impact négatif... Au contraire, il y a une ouverture de nouveaux marchés. Evidemment, certains domaines économiques subissent alors une rude concurrence, mais sur un plan macroéconomique, je m’attends à des impacts très positifs.

Le vote “non” est-il anti-européen ?
Voter “non” ne va pas provoquer le chaos, comme le disent certains. Seulement, on ne bénéficiera pas :
-  du système de décisions collectives. (aujourd’hui, les décisions sont très facilement bloquées, donc une décision collective est difficile à prendre)
-  d’un ministre des Affaires Etrangères européen..
-  de la Charte des Droits fondamentaux, qui à mon sens est une avancée considérable. (grande portée juridique, car en cas d’atteinte à ces droits, chaque citoyen peut en référer aux institutions européennes.)

La Constitution n’est-elle pas aussi le moyen de “faire passer” les notions de libéralisme, notamment avec des termes comme “économie de marché hautement compétitif” ?..
L’économie de marché signifie que les prix ont un sens et correspondent à la production. La France fonctionne sur l’économie de marché depuis 200 ans ! Pourquoi en avoir peur ? De plus, il n’y a pas d’antagonisme entre compétitivité et solidarité sociale : l’Etat peut très bien s’impliquer fortement et favoriser une grande redistribution sociale... En Finlande par exemple, les prélèvements sont de l’ordre de 50%. Or c’est une économie des plus compétitives... La concurrence, ce n’est pas forcément la loi du plus fort. C’est également la lutte contre le monopole.

Vous dites que ces dispositions économiques ne sont pas antagonistes avec une solidarité sociale, mais le volet social n’est finalement jamais pris en compte : on parle de stabilisation de la monnaie, mais pas de croissance économique, de libre marché mais pas d’aides sociales. Pourquoi, s’il n’y a pas antagonisme, ne s’assure-t-on pas plus directement d’une solidarité sociale ?
La solidarité est difficile à mettre en oeuvre au niveau européen : serait-on prêts à cotiser pour un estonien ? (au hasard) La solidarité reste avant tout une affaire nationale.

Le volet social ne permettrait-il pas une meilleure implication des citoyens européens ?
Oui, mais il pourrait exister d’autres moyens d’impliquer une population : des impôts directs, ou des élections au suffrage direct pour les députés européens par exemple...

Il paraît qu’au niveau social, la Constitution va plus loin que le traité de Nice. En quoi ?
Lisez la Charte des Droits Fondamentaux, notamment le titre 4 sur la solidarité. Sa mise en oeuvre est capitale !

Qu’est-ce que le pacte de stabilité ?
Dans le budget d’un Etat, les dépenses sont généralement supérieures aux recettes. Le déficit doit être comblé par l’emprunt. Mais si l’Etat emprunte massivement, sa monnaie perd de sa valeur. (Exemple : l’emprunt des US finance la guerre en Irak, mais le dollar baisse... et nous finançons cet emprunt !) Donc pour que l’euro reste stable, le pacte de stabilité interdit aux Etats membres de l’UE d’emprunter plus de 3% de la valeur de leur PIB. (dette de la France : 65% de son PIB ! Donc un emprunt de 64 milliards d’euros...mais apparemment, ce n’est pas un problème...)

Oui, mais les politiques sociales et environnementales sont une dépense pour l’Etat. Le pacte de stabilité ne risque-t-il pas de les bloquer ?
En effet. L’UE, ce n’est pas encore les Etats Unis d’Europe. Peut-être qu’un jour, ça viendra !

Alors l’Union peut imposer à un état de respecter le pacte de stabilité, même s’il n’en n’a pas le budget. Au détriment de sa politique sociale !
Oui, mais s’unir implique aussi de prendre des décisions collectives, et donc de renoncer à une partie de sa liberté.

Alors les droits des Etats sont vraiment diminués. N’est-ce pas dangereux ?
Non, car certaines décisions doivent être prises à l’unanimité.

De quels financements bénéficient les institutions européennes ?
Une contribution de chaque état, une partie de la TVA, et une taxe à l’importation. Mais il n’existe pas d’impôt direct.

Une constitution a l’air lourde à réviser. Ne risque-t-on pas, en votant “oui”, de figer les choses ?
Changer la constitution sera en effet difficile, mais moins que pour le traité de Nice. En effet, même si la révision de la Constitution est prévue dans celle ci, un changement devra recueillir l’unanimité des Etats membres. Une constitution n’est pas gravée dans le marbre.

Il est écrit qu’en état de guerre, tout doit être mis en oeuvre pour que l’économie puisse fonctionner normalement. N’est-ce pas choquant que l’activité économique soit encore prioritaire même dans un tel cas d’urgence ?
N’oublions pas que la monnaie a un vrai rôle de cohésion sociale. Il faut donc la préserver. Elle est essentielle pour rendre possible l’échange. C’est un vecteur d’intégration.

Pourquoi M. Fabius est-il contre la Constitution ?
A mon avis, c’est un calcul politique, dans le but de devenir le rassembleur de la gauche. Mais il sait bien que l’économie de marché est le seul système viable.

Qu’est-ce que la liberté d’établissement ?
C’est la liberté de pouvoir s’installer n’importe où en Europe, avec un diplôme d’ingénieur, par exemple. Elle permet d’augmenter la concurrence.

Si un Etat “sponsorise” une entreprise (EDF par exemple), cela remet-il en cause le libre marché et la concurrence ?
Oui. Le monopole d’EDF n’existe d’ailleurs plus : EDF a des concurrents. Mais il a aussi la liberté d’établissement, donc s’installer ailleurs... Un Etat peut donc être puni. D’autre part, si une fusion entre entreprise fausse la concurrence, elle peut être interdite par l’Europe. Mais de ce côté, la Constitution ne change rien.

Un Etat a-t-il le droit, par exemple, d’augmenter les impôts pour permettre la gratuité des transports ?
Oui, si l’Etat paye ce service à une entreprise privée.

Le service public est-il anti-constitutionnel ?
Non, puisqu’il peut être rendu par une entreprise privée. (ex : clinique privée) La constitution menace cependant le statut et les emplois du personnel des services publics actuels.

Y aura-t-il des délocalisations ?
Oui. Mais elles auraient eu lieu de toute manière. C’est vrai qu’il y a un problème dans notre société, ce sont les emplois pour les ouvriers non qualifiés. Les politiques des gouvernements ont laissé, depuis 20 ans, se marginaliser tout un pan de la population.