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Compte-rendu de la conférence

Janvier 2006

Avertissement

Il s’agit d’ une transcription de notes prises pendant la conférence réalisée devant public par Pierre Moraillon à l’Institut National Agronomique Paris-Grignon le mercredi 30 Novembre 2005. Ce compte-rendu non exhaustif n’a pu être relu par le conférencier.

En tant que témoin privilégié de ces affaires, vues du dessus et vues de dessous, je vais dans la suite vous présenter l’actualité et l’enjeu des négociations pour la France, et les scenarii possibles pour la poursuite du cycle de Doha.

Le « cycle de Doha, pour le développement », initié par la Déclaration Ministérielle de Doha en novembre 2001 est l’actuel cycle de négociation à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Il suit le précédent cycle de 7 ans de l’Uruguay Round initié en 1987, qui a pris fin à Marrakech. Ce sont des négociations commerciales internationales à 150 pays (enfin, 125 pays si l’on considère que l’Union Européenne (UE) est une voix...).

Ses objectifs sont multiples : faciliter les échanges commerciaux entre pays et par là même améliorer la croissance des pays donc leur bien-être, notamment pour les pays pauvres auxquels une attention toute particulière est portée. D’où son nom de cycle pour le développement.

Les enjeux sont importants : les flux commerciaux représentent actuellement 9100 milliards de $ dans le monde par an. Le développement des échanges s’est surtout basé sur les biens industriels et les services. En 15 ans, les échanges de biens ont été multipliés par 4,5 (340 milliards de $ en 2004), et par 7 pour les échanges de services (passant de 363 à 2100 milliards de $/an entre 1980 et 2004. Cependant cette croissance a été inégale entre pays. Alors que la Chine par exemple voyait sa part du marché mondial passer de 16 à 30%, l’Afrique Subsaharienne voyait sa part de marché chuter de 2-3% à 1%. Le rapport Produit Intérieur Brut (PIB)/(valeurs des importations + exportations) mesure ainsi le taux d’ouverture d’un pays.

Cependant, on constate que les secteurs occupent un temps dans les négociations qui n’est pas proportionnel au poids effectif en valeur des échanges mondiaux. Ceci est flagrant pour l’Agriculture. Alors qu’elle représente à peine 6 à 7% des flux financiers (soit 750 milliards sur 9000 milliards de $ : 150 milliards pour les matières premières agricoles et 600 milliards pour les industries agroalimentaires) elle occupe plus de 80% du temps de discussion. On parle de fair-trade et non de free-trade. Les règles de la concurrence loyale doivent être les mêmes pour tous.
Un problème important dans une négociation est le nombre de pays assis autour de la table, surtout lorsque la règle du consensus doit être respectée. Le nombre de pays n’a cessé d’augmenter, d’où une difficulté accrûe. La progression se fait en groupes restreints. Des groupes d’intérêts communs se forment et un pays négocie au nom de tous... Par exemple le G5 (UE, USA, Brésil, Inde et Japon) constitue une task-force avec laquelle Pascal Lamy, Directeur de l’OMC, travaille étroitement. Il travaille en parallèle avec les 150 pays et se doit de les informer parfaitement sur les avancées des négociations et de les conseiller pour achever le cycle de négociation dans les délais : c’est la règle de la transparence. En effet, le cycle de Doha aurait dû finir en janvier 2005. Une fois par an une réunion interministérielle à lieu, la prochaine étant à HongKong du 13 au 18 décembre prochain. On publie ensuite un texte de déclaration faisant constater les « progrès », les zones de convergence et le spectre de divergence.

70% des pays sont des pays en voie de développement (PVD) ce qui pose un problème en terme de capacité à suivre l’ensemble des négociations simultanément (nombre de représentants restreint). Ils peuvent à tout moment refuser un accord négocié pour n’avoir pas participé à sa négociation et donc bloquer parfois l’ensemble du processus par manque d’informations : c’est notamment le cas du G90 regroupant des pays africains. De plus, les négociations portent sur 15 sujets ou volets, de haute technicité : les tests de robustesse demandent une énorme puissance de calcul et un investissement hors de portée bien souvent des pays en voie de développement, ce qui soulève le débat de l’assistance technique. Quatre secteurs majeurs se dégagent des négociations :
-  l’agriculture,
-  les services,
-  l’industrie
-  et le développement.
Il en existe d’autres comme par exemple les Règles, le coton, le médicament...

La règle du consensus fait qu’il n’existe pas d’accord en partie, on est d’accord sur l’ensemble des sujets de négociation, ou alors sur rien : il n’y a pas de résultats intermédiaires. D’ailleurs tactiquement, certains dossiers sont volontairement bloqués par des pays comme moyens de pression pour faire avancer d’autres dossiers.
En ce qui concerne l’agriculture, les sujets majeurs sont :
-  le soutien interne,
-  les aides à l’exportation (restitution EU, crédits à l’export USA, aide alimentaire...)
-  et les droits de douanes (contingent, clauses de sauvegarde...).
La négociation implique en premier lieu un accord de principes, ensuite restera à négocier les modalités techniques, les chiffres exactes...etc. : il faut pouvoir être capable d’écrire un texte, quitte à ce qu’il y ait des blancs dedans. Le travail est long mais « ça vaut le coup ». A la fin d’un cycle, si sur certains sujets on n’a pu aboutir sur un consensus, il existe la possibilité de signer des accords régionaux multilatéraux, dont l’impact est fort, entre pays. La tentation est forte entre pays de ne pas passer par des accords internationaux (cadre de l’OMC) mais par ces accords régionaux. L’inconvénient est qu’il n’existe pas alors de règles communes, uniques au niveau mondial. L’OMC doit donc rester rapide et compréhensible pour lutter contre cette envie rampante.

Quelle est la place de l’Union européenne dans tout ça ?
Comme schéma général des négociations on constate en gros que l’UE s’oppose au groupe de Cairns, avec au milieu des modérés. L’UE est désavantagée structurellement dans les négociations : en effet, les autres savent que les procédures de décision au sein de l’UE sont difficiles et en profitent largement.

Schématiquement, il existe deux groupes de pays au sein de l’UE. Le premier emmené par la France plus 5 à 9 pays, n’ont pas confiance en la Commission Européenne. Ils trouvent qu’il n’est pas acceptable que les accords de l’OMC entraînent une réforme de la PAC avant 2013, qui venait juste d’être réformée sur conseils de Pascal Lamy pour avoir plus de marge de manœuvre dans les négociations. Le mandat du commissaire ne l’autorise pas à dépasser les lignes rouges de la PAC réformée, avec comme menace le veto. Mais de là à s’en servir réellement, les conséquences pourrait être fâcheuses : tout est dans l’intimidation... Les négociations sont de vastes parties de Poker menteur (trade-off permanent). Tout ce qui est lâché peut être considéré comme perdu, on ne pourra plus s’en servir pour obtenir des compensations (marge de manœuvre diminue) et on ne doit pas dévoiler ce que sont nos priorités au risque de devoir les payer très chères...Le deuxième groupe a une entière confiance dans les négociateurs européens, avec souvent des intérêts offensifs (biens/services) plutôt que défensifs (Agriculture).

La force des négociateurs américains est l’indépendance du mandat qu’il leur est accordé pour une durée déterminée par le congrès (fast-track). Ils peuvent rapidement passer de la tactique (jeu d’influence : bloquer temporairement les négociations dans un secteur stratégique par exemple tel le secteur des médicaments pour les USA, qui feront probablement une annonce la veille pour les créditer d’un pas bienveillant) à la stratégie (intérêts offensifs et défensifs). En Europe, le négociateur ne peut pas faire des propositions rapides ou bluffer car l’ensemble des pays européens doivent en être informés : or la transparence de l’information au niveau européen implique la transparence de l’information pour le reste du monde... _ En terme de gouvernance, il faut réellement mettre sur la table ce que chacun veut, en terme de cibles sectorielles et de marchés, pour échanger des offres. Cela facilitera les propositions sur les modalités techniques ensuite. Dès que le négociateur européen fait une proposition, elle est considérée comme peu sérieuse, trop timide (car résultant d’un accord entre les 25 aux intérêts divergents). Il est donc critiqué par ses opposants (USA, Brésil notamment) au sein de l’OMC, mais essuie aussi des critiques intérieures à l’UE. Cette inertie constitue une faiblesse systémique, aggravée lors de l’élargissement. Le comité 133 définit et réfléchit la politique économique de l’Europe. Il faut sans cesse passer de l’administration qui a une vision imparfaite et subjective de la situation (intérêts électoraux et nationaux...) à l’assemblée générale des pays à l’OMC pour faire circuler l’information et définir une stratégie. Il faut réinventer une marge de manœuvre pour les négociateurs de l’UE.
Le sommet de Hong-Kong s’avère peu prometteur en terme de résultats et d’avancées. Les négociations sont en effet gelées dans de nombreux domaines. La difficulté va être d’occuper les Ministres en déplacement...
Le système des green rooms, sortes d’incubateurs des opposants avec un facilitateur le temps qu’il faut pour trouver un accord, sans possibilité de sortie avant le consensus a permis des avancées par l’usure tel l’accord de juillet 2004. « Une négociation se prépare en effet pendant 2 ans et se joue dans les 5 dernières minutes » selon Monsieur Toussain.

Certains sujets « irritants » (poison piles) risquent de troubler la réunion, tels les médicaments (USA), le coton (USA), la banane (EU), le sucre... Par exemple, en ce qui concerne le Coton, l’aide américaine de 4 milliard d’euros à ses producteurs est égale au PIB du Burkina Faso... Reste le volet développement pour lesquels les français se vantent d’être bons mais cela risque fort de dégénérer en une compétition de dons avec les USA... C’est à qui lavera son linge plus blanc que blanc. Le paquet développement comprenant l’accord « tous sauf les armes », le Traitement Spécial et Différencié (TDS), ou bien encore « Médicament » etc. sera probablement acté et constituera alors la seule avancée du Sommet. Ce sera un échec brillant (successfull failure).
On décidera aussi vraisemblablement que 2006 sera la dernière année du cycle, ce qui est pour l’instant implicite, avant d’entamer ensuite un nouveau cycle. C’est l’option cycle court. En effet, le mandat des négociateurs américains arrivera alors à son terme. De plus, plus le temps passe et moins il existe de variables sur lesquelles on peut jouer (problème des élections présidentielles en France). Sinon la meilleure option sera l’option cycle long (2009). Personne ne sait ce qui va se passer mais notre rôle est de prévoir tous les scénarii possibles, de les anticiper, de prendre les avis techniques et d’être prêts à toutes les options.
Il est sûr que la France devra proposer plus dans la réforme de son Agriculture, mais quoi ? Les fonctionnaires sont résignés et abasourdis, les organisations agricoles étrangement silencieuses...

Après Doha, le prochain enjeu sera sûrement les obstacles non tarifaires (normes sanitaires etc.) ainsi que les règles concernant l’environnement des affaires (concurrence, marchés publics, brevets, facilitation des échanges...). Leur impact est aussi important que celui des obstacles tarifaires. Il faudra intégrer également les règles environnementales et les normes sociales qui n’ont pu l’être pour le cycle de Doha. Les pays en développement avaient en effet refusé car ceci aurait pu constituer un nouveau prétexte pour les pays développés dans l’optique de protéger leurs marchés.
Les négociations en France occupent 20 personnes, pas toutes à temps plein, et s’appuient sur le vaste réseau international dont nous disposons...

Questions

Comment améliorer le processus de négociation ?

Un rapport avait été réalisé par le Directeur du GATT. On peut compter sur Pascal Lamy pour améliorer ce processus, surtout après la fin de ce cycle. Il n’y a pas eu vraiment de progrès entre 2004 et maintenant, au contraire même, il y a eu des reculs pour des raisons tactiques du Brésil sur les services et les tarifs industriels. Des avancées notables ont été accordées aux PMA. Il faut mettre la pression à tout le monde pour passer désormais au chiffrage. Il reste à passer rapidement d’un état des lieux à un texte plus engageant, avec des blancs éventuels.
La PAC, avec ses 40 milliards d’euros par an est jugée excessive et distorsive , même avec des aides découplées. C’est un sujet très sensible sur lequel il y a peu de marge de manœuvre. L’Agriculture est dans une période de transition entre ce qu’on a aujourd’hui et ce qu’on aura dans 20 à 30 ans (application de la chimie verte, par exemple molécules produites dans le lait). Malheureusement, si on abandonne ces commodités, on va devenir très indépendants. Il ne faut pas prendre le risque d’ouvrir des brèches pour un avenir encore incertain dans ces négociations. L’accès au marché n’est pas à brader. Il est cependant difficile de déterminer les intérêts de la filière agro-alimentaire dans 20 à 30 ans, surtout qu’ils s’expriment peu. La population va augmenter, l’énergie fossile sera épuisée d’ici 30 ans, l’environnement devient un facteur clé, bref de nombreux intérêts stratégiques à exprimer. Il est plus qu’urgent de définir les points intangibles sur lesquels il ne faut pas lâcher... Une complicité accrûe pourrait se développer entre industries agroalimentaires et matières premières pour ne pas devenir dépendants d’un pays (filières intégrées). La FNSEA/JA s’expriment beaucoup mais le MEDEF, les grands secteurs de l’exportation ne viennent pas voir les négociateurs. Au delà des flux de marchandises, il existe le flux de capitaux pour lesquels la France a pourtant des intérêts importants, avec ses 28000 filiales de groupes français à l’étranger, représentant 800 milliards d’euros et 5 milliards de salariés. L’implantation de nos entreprises est à promouvoir car il est équivalent à nos exportations.

La question de la parité de la monnaie n’est pas du tout abordée à l’OMC alors même qu’elle fausse la concurrence commerciale (par exemple le dollar faible des USA favorise leurs exportations). Pourquoi ?

Il existe des possibilités de se couvrir contre ce risque. Le phénomène est en plus cyclique. Une monnaie est certes une arme commerciale (exemple du Japon qui dans les années 60 à sous-évaluer sa monnaie) mais elle reflète également la compétitivité d’un Etat... Ces questions relèvent du champ de compétence du G8, du FMI, avec peu de succès car la marge de manœuvre certes des Banques Centrales reste faible. Des progrès ont été faits avec l’euro qui a supprimé les plans de compensation.
Les 2/3 de l’épargne mondial vont aux USA et financent les bons obligataires du Trésor.

Ne trouvez-vous pas que le secteur de la pêche a été sacrifié ?

Oui, c’est un des rares secteurs industriels défensifs. Un des enjeu majeur va être de conserver la préférence communautaire. Les négociateurs appliquent la théorie du salami de Kissinger : quand c’est dur à avaler, il faut faire de fines tranches pour que cela soit plus facile...Par exemple les « sujets de Singapour » ont soulevé de nombreux différents en 2003 à Cancun. Les droits de douanes sont toutefois désormais exprimés en EAV.
Une limite risque d’être imposée aux dérogations obtenues pour les produits dits sensibles (définition stricte des bandes et réductions des bandes). Le secteur laitier, les bovins, la volaille risquent de ne plus pouvoir entrer dans cette nouvelle classification. Le problème majeur de la France est qu’elle n’a pas de secteur prioritaire : elle fait à peu près tout.

Un avenir de l’agriculture n’est-elle pas justement la protection des indications géographiques ? Quelle est la perspective des négociations à ce sujet ?

Les pays étrangers nous ont félicités pour notre nouvelle trouvaille administrative... Nous luttons pour deux points : la création d’un registre international des vins et spiritueux , et que ceci s’étendent à de nouveaux secteurs. Là encore c’est la théorie du saucisson qui est employée... On risque de nous faire payer ces demandes très chères. Il faut trouver d’autres pays confrontés à la même problématique, en développement idéalement, comme l’Inde par exemple, qui feront remonter ces demandes à notre place...
Il est difficile de former des alliances lorsqu’on tient des positions fermes. La France a un rôle « trop ? » critique dans l’Union Européenne : elle ne félicitera jamais la Commission mais soulignera le point négatif... Les autres ont des positions moins extrêmes, plus linéaires. Il faut faire bien attention car l’Europe n’est plus la France. Notre voix s’est diluée (théoriquement 1/25e) : il faut désormais réfléchir en terme de groupes d’influence pour peser sur la Commission.

Pratiquement, rappeler vous qu’on a toujours des n+1 au dessus de soi et qu’il est essentiel de réaliser un travail d’alerte et d’anticipation. Tout l’intérêt de l’exercice est d’expliquer en 1 minute 30s à quelqu’un que son idée est très bonne mais qu’il faut faire autre chose...