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Enjeux de l’étiquetage, par Egizio Valceschini

Janvier 2006

L’étiquetage obligatoire des aliments est-il la meilleure solution pour les consommateurs ?

Éléments de théorie économique

tiré du dossier OGM de l’INRA

L’indication de la mention « avec (ou sans) OGM » sur des aliments issus du génie génétique, rendue obligatoire par la réglementation, est-elle de l’intérêt des consommateurs ? Les enseignements de la théorie économique montrent que, du point de vue des consommateurs, l’intérêt d’un étiquetage n’est pas certain. Il dépend, pour la production et la distribution, du coût du dispositif de traçabilité et, pour la consommation, des arbitrages que les consommateurs font entre les différentes caractéristiques de produits OGM. Ce texte explicite les points de vue contradictoires en présence sur cette question. Pour autant, il ne constitue une prise de position ni de l’auteur, ni de l’INRA par rapport à l’étiquetage. Il vise à montrer les confusions qui alimentent la polémique et à fournir des éléments d’analyse économique pour nourrir le débat social nécessaire à la prise de décision, ce qui est l’un des rôles du chercheur.

Egizio Valceschini Economiste, Systèmes Agraires et Développement, INRA Grignon-Massy-Paris-Versailles

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Est-il dans l’intérêt des consommateurs d’imposer par voie réglementaire un étiquetage distinctif pour les produits issus d’OGM ? Cette interrogation peut être subdivisée en deux questions : quel est le coût de l’obligation de l’étiquetage ? L’information supplémentaire fournie par l’étiquetage est-elle pertinente pour le consommateur et est-il prêt à la payer ?

Sécurité et information des consommateurs : deux problèmes différents

Une des difficultés du débat sur l’étiquetage des produits transgéniques provient de la confusion entre deux questions :

-  la question de la protection de la santé des consommateurs, qui concerne la sécurité hygiénique et sanitaire du « mangeur » : l’exigence fondamentale est la préservation de la santé ;

-  la question de l’information des consommateurs, qui concerne l’information de l’acheteur dans une économie marchande : l’objectif est la loyauté des transactions et le choix du consommateur en toute connaissance de cause.

Or, garantir la sécurité des « mangeurs » ou assurer la véracité des informations données aux consommateurs ne suppose pas forcément la mise en oeuvre des mêmes mécanismes et des mêmes procédures de contrôle.

La protection du consommateur en matière de sécurité et d’hygiène alimentaires est aujourd’hui considérée, dans tous les pays industrialisés, comme relevant légitimement de l’activité réglementaire et répressive des pouvoirs publics. Cette légitimité repose sur le fait que la santé est considérée comme un bien public. L’Etat est reconnu comme l’instance supérieure seule à même de pouvoir préserver et garantir efficacement la sécurité des citoyens. En principe, l’importance du danger encouru par les consommateurs justifie l’édiction par la puissance publique de normes réglementaires qui engagent alors sa propre responsabilité. Au-dessus des intérêts particuliers, il a la légitimité pour défendre les citoyens ; il dispose de la capacité d’expertise nécessaire à l’élaboration des règlements, et de la puissance de coercition indispensable à la mise en oeuvre des dispositifs de contrôle ; il possède aussi la crédibilité nécessaire pour susciter la confiance dans l’efficacité de son administration.

Assurer la loyauté des transactions signifie garantir à l’acheteur que l’information donnée sur le produit par le vendeur est honnête, exacte et complète. Cette information, dont l’objectif est de faciliter l’appréciation, la comparaison et le choix des produits doit être concise, aisément compréhensible et fiable. L’intervention réglementaire porte alors sur l’information, et se traduit par une normalisation de l’étiquetage des produits.

La récente réglementation européenne « novel food » s’inscrit dans ce mouvement.

La définition de l’information délivrée aux consommateurs n’est pas l’apanage de l’Etat ; les acteurs économiques ou professionnels disposent également de supports autonomes, même s’ils peuvent être garantis par l’Etat. Il s’agit par exemple des « signaux de qualité », dont le but est de différencier un produit, de mettre en valeur sa singularité. Les pouvoirs publics peuvent fixer les conditions permettant à un produit de bénéficier d’une appellation spécifique : c’est le cas, en France des certifications officielles portant sur l’origine des produits (AOC -Appellation d’Origine Contrôlée-, Label Rouge, logo Agriculture Biologique) et, au niveau européen (depuis 1992) des AOP-Appellation d’Origine Protégée- et IGP-Indication Géographique Protégée-. D’une manière plus générale, le droit intervient pour régler l’utilisation des marques qui cherchent à valoriser un nom particulier ; il protège leur propriété exclusive.

Dans l’agro-alimentaire, la question des garanties de sécurité et des signes de qualité se pose en fait dans des termes particulièrement difficiles. Dans les deux cas toutefois, le consommateur individuel est dans l’obligation d’avoir recours à des garanties et à des repères de qualité. Les acheteurs ne sont pas en mesure de connaître automatiquement ni le niveau de qualité des produits, ni la véracité des informations sur les caractéristiques des produits, d’autant plus que les caractéristiques des denrées alimentaires sont pour l’essentiel des « caractéristiques d’expérience », observables seulement après l’achat, à l’usage, (comme la tendreté de la viande, par exemple), ou des « caractéristiques de confiance » non identifiables même après l’achat (par exemple, la teneur en vitamines). Les sens et la capacité personnelle d’expertise du consommateur sont donc insuffisants pour lui permettre de juger et de choisir seul : pour être sûr que le produit qu’il consomme est sans danger, il doit s’appuyer sur une garantie extérieure au marché ; pour comparer les marchandises et s’assurer qu’il achète bien ce qu’il désire, il doit faire appel à des informations. Le recours à de telles garanties extérieures ou informations supposent qu’elles soient dignes de confiance, c’est-à-dire que leur validité s’appuie sur la capacité d’expertise d’une personne, d’un organisme ou d’une institution fiable et reconnue. Historiquement, ce sont les pouvoirs publics, dont un instrument est la réglementation de l’étiquetage, qui ont été amenés à prendre en charge la protection du consommateur et à garantir la loyauté des activités commerciales. Une des principales questions posées par l’étiquetage est celle des informations qu’il doit contenir pour satisfaire les exigences des consommateurs.

L’étiquetage de la mention « transgénique » : information des consommateurs et différenciation des produits

L’éventuel étiquetage des produits génétiquement modifiés est également soumis à cette interrogation. Le débat n’est pas simplement juridique, il est d’abord économique, car les différents supports d’information n’ont pas les mêmes coûts, ni les mêmes conséquences commerciales. Le problème essentiel vient du fait que certains dispositifs visant à identifier les produits ou à fixer des règles de sécurité sont susceptibles d’engendrer des distorsions de concurrence et de constituer des obstacles aux échanges ; ils font partie de ce qu’on désigne par les termes « d’entraves non tarifaires ».

Deux positions s’affrontent.

* La première consiste, au nom de l’intérêt des consommateurs, à demander que soit rendu obligatoire par la réglementation un étiquetage spécifique, qui permette de différencier nettement les produits. Une position moins radicale, mais qui se situe dans la même perspective, consiste à rendre obligatoire l’étiquetage seulement dans les cas où l’on peut distinguer dans le produit final une trace de la modification génétique utilisée au cours du procédé de production (c’est la position de la Commission Européenne). De cette manière, les consommateurs ont la possibilité de faire leur choix et de manifester leur préférence en toute connaissance de cause ; le marché peut alors fonctionner correctement et sélectionner entre les produits transgéniques et les autres ceux qui donnent le plus satisfaction aux consommateurs. Définir ainsi l’utilité de l’étiquetage comme étant de permettre aux consommateurs de différencier clairement les produits issus d’OGM de ceux qui n’en sont pas repose, de fait, sur deux hypothèses. La première est l’hypothèse de pertinence : la présence ou non d’OGM est l’information pertinente pour le consommateur, celle qu’il recherche en priorité, avant les caractéristiques concernant la conservation, le goût du produit ou le respect de l’environnement, par exemple. La seconde est celle la gratuité de l’information : les informations fournies aux consommateurs par le moyen de l’étiquetage seraient en quelque sorte sans coût (d’élaboration, de mise en forme, de contrôle, etc.), ou encore ce coût devrait être supporté également par tous les consommateurs, y compris ceux que la distinction entre produits transgéniques et non transgéniques n’intéresse pas. Ces deux hypothèses sont fortement contestables.

* La position opposée repose principalement sur la contestation de cette seconde hypothèse. Elle consiste à soutenir que l’étiquetage est inutile à partir du moment où la mise en marché du produit a été autorisée par les instances d’homologation sur la base d’une expertise scientifique. Garantissant l’innocuité, l’autorisation de mise en marché fournirait la seule information obligatoire véritablement pertinente pour les consommateurs que doit imposer la réglementation : le produit est sain.

Une position moins extrême serait de considérer qu’un avertissement du type « peut contenir des OGM » serait acceptable. Mais cette mention pourrait avoir un effet pervers dans la mesure où elle pourrait donner à penser que le produit est potentiellement dangereux, alors que la procédure de mise en marché garantit que ce n’est pas le cas. Les tenants de cette position, notamment les Etats-Unis, voient donc dans l’obligation d’étiqueter un moyen de protectionnisme déguisé.

La théorie économique nous apprend que pour trancher correctement ce débat, il faut évaluer aussi bien la pertinence, du point de vue des consommateurs, des informations données par l’étiquetage que le coût d’élaboration et de gestion de ces informations.

Le coût de l’étiquetage de la mention « produit transgénique » est celui de la traçabilité

La fiabilité de l’étiquetage du produit final implique que soient identifiés et suivis, dès leur origine et tout au long de la chaîne agro-alimentaire, dans les transformations ou utilisations successives, les produits issus d’OGM qui entrent dans la composition du produit final. Il s’agit donc d’assurer leur traçabilité. Un moyen pour alléger les contraintes de cette traçabilité serait de disposer de méthodes infaillibles de détection du caractère transgénique d’une plante, de sa graine, des produits intermédiaires ou des aliments qui en sont issus. Des méthodes aussi performantes n’existent pas à l’heure actuelle, car les difficultés pour élaborer des protocoles de recherche, et au-delà des procédures de contrôle, sont très importantes. Même si une amélioration rapide et sensible des méthodes de détection est envisageable, un dispositif de traçabilité reste nécessaire. Selon Yvette Dattée et al. « s’il s’agit d’affirmer l’absence totale de transgène, seule la traçabilité complète depuis la mise en culture jusqu’au produit transformé, en passant par la surveillance des cultures avoisinantes, peut permettre de répondre à cette exigence » (voir le texte « Comment assurer la traçabilité des OGM et des produits issus d’OGM »).

C’est donc dès l’origine qu’il est nécessaire de suivre le produit initial pour que l’étiquetage sur le produit final soit valide. Cette traçabilité de l’origine est complexe et économiquement très coûteuse dans le secteur agro-alimentaire. Elle implique en effet, dès le stade de la production agricole, d’organiser l’identification et la séparation des parcelles cultivées, des lots collectés et stockés. Il faut ensuite, aux stades aval, établir des procédures de séparation et d’identification des lots de produits, qui sont rendues compliquées par le fait que la plupart des activités de transformation alimentaire comportent aujourd’hui la désagrégation de produits initiaux (mouture du blé en farine, par exemple) puis l’assemblage de différents produits (plats cuisinés tout prêts, par exemple). Seule une séparation totale entre les filières de produits transgéniques et les filières sans trangènes pourrait permettre le contrôle de l’absence/présence de transgène. L’étiquetage des produits issus d’OGM a donc un coût élevé, celui de la traçabilité, qui comprend le coût de l’élaboration des connaissances scientifiques, les coûts d’organisation et ceux de contrôle.

En conséquence, le raisonnement économique tend à montrer que rendre obligatoire par voie réglementaire un tel étiquetage ne correspond pas forcément à l’intérêt des consommateurs, pour plusieurs raisons :

-  le contrôle de la fiabilité de l’étiquetage est très incertain en l’état actuel des technologies ;

-  le coût de l’étiquetage, qui risque d’être très élevé, sera supporté par tous les consommateurs (y compris ceux qui sont indifférents au fait que les produits soient transgéniques ou pas) ;

-  si le coût de la traçabilité est supérieur à l’économie sur les coûts de production permise par l’utilisation des OGM, il y a risque d’annulation de la rente d’innovation, et donc de disparition des produits OGM du marché, au détriment des consommateurs si ces produits comportent des caractéristiques nouvelles qui les intéressent (meilleur goût ou plus grande conservation, par exemple).

La pertinence de l’étiquetage : valoriser la différenciation plutôt que rendre l’étiquetage obligatoire

Selon que l’on se fixe l’objectif de garantir la sécurité ou celui de signaler une caractéristique, la responsabilité et le pilotage du système de traçabilité ne sont pas alloués aux mêmes acteurs et son organisation est donc différente. Trois modes de pilotage peuvent être aujourd’hui distingués : la réglementation de l’information (informations minimales obligatoires sur l’étiquetage), la certification (garantie apportée par un tiers indépendant) et le marquage (utilisation d’un signal de qualité). La pertinence de chacun de ces dispositifs dépend des circonstances. Nous venons de voir les inconvénients, pour les consommateurs, de l’étiquetage rendu obligatoire par la réglementation.

Si l’étiquetage n’est pas obligatoire, les producteurs n’apposeront ce type de mention que pour autant qu’ils pourront vendre leurs produits à un prix supérieur à celui des produits dont ils veulent se différencier sur le marché. Cette logique implique deux choses :

-  les producteurs qui signaleront le caractère transgénique de leurs produits ne mentionneront sur l’étiquetage que les informations et les caractéristiques pertinentes, celles pour lesquelles les consommateurs sont prêts à payer ;

-  comme le caractère transgénique ou non n’est pas apparent pour les consommateurs, il est nécessaire que toute allégation concernant ce caractère soit garantie par un mécanisme d’assurance contre la tromperie ou la fraude.

Supposer que le consommateur soit prêt à payer pour l’information concernant la caractéristique « génétiquement modifié » (GM), implique que (au pire) il soit indifférent à la présence de cette caractéristique gm dans le produit, ou (au mieux) il préfère cette caractéristique GM, car elle est la contrepartie d’autres caractéristiques du produit (goût, aptitude à la conservation, etc.).

La mention « sans OGM » est celle qui correspond à l’intérêt général des consommateurs, car elle permet de choisir en toute connaissance de cause en faisant reposer le coût (élevé) de cette information uniquement sur ceux qui sont prêts à la payer.

Si le consommateur est prêt à payer, une solution est celle du signal de qualité (marque commerciale, signes officiels...) plutôt que l’étiquetage obligatoire. La question se pose alors du mécanisme capable de générer et d’entretenir la crédibilité du signal, c’est-à-dire capable de susciter la confiance des consommateurs. On identifie deux grandes catégories de mécanismes.

Les mécanismes de réputation. Ils reposent sur la construction d’une image de marque grâce à la répétition des achats, qui aboutit à associer la qualité du produit au nom de celui qui le fabrique et/ou le vend. La réputation du producteur est au c¦ur d’un mécanisme de garantie auto-régulé (on parle de signal de qualité « endogène » au marché) : plus la réputation est grande, plus le préjudice sera élevé en cas de défaillance, car c’est la rentabilité des investissements consentis pour créer et entretenir l’image de marque qui est menacée. La marque commerciale est le cas type d’un signal de qualité endogène.

Les systèmes de certification. Ils consistent à appuyer la crédibilité d’un signal de qualité sur l’intervention d’une institution formelle, extérieure aux transactions marchandes, qui garantit la véracité de l’allégation. Ces institutions formelles hors marché (tierce partie ou Etat) engagent alors leur propre responsabilité, fondée sur leur capacité d’expertise, la fiabilité de leurs contrôles et, en particulier en ce qui concerne l’Etat, sur leur puissance de coercition. Ce système est adapté à des situations où il est nécessaire de contrecarrer une incertitude induite par des « caractéristiques de confiance » ou par des phénomènes mal connus (aussi bien par les consommateurs que par les producteurs) et mettant en cause la santé, l’hygiène ou même la nutrition.

La tendance actuelle est la mise en ¦uvre de stratégies mixtes combinant réputation et certification. Un certificat officiel de qualité, comme le Label rouge cherche à la fois à développer une réputation liée à une image de marque et une garantie officielle. Les situations de crise et d’incertitude forte concernant la qualité suscitent de telles stratégies mixtes pour renforcer la crédibilité d’un signal de qualité ; c’est le cas par exemple en France, du sigle « VBF » -Viande Bovine Française- et du logo « CQC » -Critères Qualité Contrôlés- mis en place récemment dans le secteur de la viande bovine.

En matière d’information sur les produits transgéniques, l’étiquetage obligatoire n’est pas le seul moyen d’information des consommateurs, et ce n’est probablement pas le plus pertinent. Dès lors qu’un produit est autorisé à la vente, une information du type « produit avec OGM » apposée sur l’étiquetage n’apprend rien de plus au consommateur sur son innocuité. Certes une telle information lui permet de se déterminer de manière purement individuelle face à la présence d’OGM. C’est la logique même du marché qui s’applique : « j’achète ou je n’achète pas » et les produits non achetés sont de facto exclus du marché. Cette voie est-elle la plus équitable ? Compte tenu du coût élevé de la gestion de ce type d’information, serait-il logique que l’ensemble des consommateurs soient obligés de payer pour une information que seuls certains d’entre eux désirent en priorité ? Par ailleurs cette voie est-elle la plus efficace ? Plutôt que de donner une information supplémentaire coûteuse aux consommateurs individuels, ne serait-il pas plus judicieux de mieux insérer les consommateurs organisés dans les instances de choix collectifs concernant des risques à propos desquels les connaissances scientifiques sont limitées ? La solution la plus pertinente est celle qui allie une garantie de sécurité égale pour tous par la réglementation sur les produits et une information discriminante, qui différencie les produits sans OGM par un signal dont la valeur reconnue par des consommateurs prêts à payer permettrait de récupérer le coût de l’information.

Pour en savoir plus

Nicolas F. & Valceschini E. (éds.), 1995. Agro-alimentaire : une économie de la qualité. INRA-Economica, Paris.

Ruffieux B. & Valceschini E., 1996. Biens d’origine et compétences des consommateurs : les enjeux de la normalisation dans l’agro-alimentaire. Revue d’Economie Industrielle, 75, 133-146.

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