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Une première analyse du texte de la Constitution européenne

Janvier 2006

La Constitution européenne : une première analyse

par Maxime Lefebvre

Chargé des affaires européennes à l’Institut français des relations internationales

Article extrait de la revue en ligne “Etudes européennes N°2” www.cees-europe.fr/revue.htm

Préambule
Le court préambule de la Constitution rappelle que l’Europe est un « continent porteur de civilisation », dont les habitants ont développé « les valeurs qui fondent l’humanisme : l’égalité des êtres, la liberté, le respect de la raison ». Contrairement à ce que souhaitaient certains pays, tels la Pologne et l’Allemagne, la Constitution ne mentionne pas Dieu ni le christianisme, mais seulement (dans une formule de compromis âprement négociée) les « héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe, dont les valeurs [sont] toujours présentes dans son patrimoine » et sont à l’origine « du rôle central de la personne humaine et de ses droits inviolables et inaliénables, ainsi que du respect du droit ».
Le préambule rappelle aussi, comme le traité de Rome de 1957, que les peuples européens sont « unis d’une manière sans cesse plus étroite ».

Première partie : l’architecture constitutionnelle de l’Union
La première partie du traité constitutionnel est la plus politique : c’est elle qui donne les principales dispositions sur l’architecture de l’Union.

Le titre I établit l’Union, énonce ses valeurs et ses objectifs, et lui confère la personnalité juridique.
L’article 1 affirme que l’Union exerce « sur le mode communautaire » les compétences qui lui sont transférées par les Etats membres (le mot « fédéral » a dû être remplacé par « communautaire » à la demande insistante des Britanniques).
Les valeurs de l’Union (art. 2) sont la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’état de droit, et les droits de l’homme.
Les objectifs (art. 3) incluent l’espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures pour les citoyens, le marché unique où la concurrence est libre et non faussée, le développement durable, le plein emploi et le progrès social, la lutte contre les discriminations, la diversité culturelle et linguistique, la promotion de la paix et du droit dans le monde. La mention de la « cohésion économique, sociale et territoriale » et de la « solidarité entre les Etats membres » donne un fondement constitutionnel à la politique régionale de l’Union.
Enfin, l’Union reçoit la personnalité juridique (art. 6), alors que depuis le traité de Maastricht elle n’était que la somme indéterminée des Etats membres et des trois communautés européennes (CECA, CEE, Euratom).

Le titre II de la première partie est consacré aux droits fondamentaux (voir infra) et à la citoyenneté de l’Union. La citoyenneté de l’Union (art. 8) reste définie, comme jusqu’à présent, par le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, le droit de vote et d’éligibilité aux élections européennes et aux élections municipales dans l’Etat de résidence, la protection des autorités diplomatiques et consulaires d’un autre Etat membre à l’étranger, le droit de pétition et de saisine vis-à-vis des institutions européennes.

Le titre III rappelle les principes de spécialité, de proportionnalité et de subsidiarité qui régissent l’attribution des compétences à l’Union (art. 9), mais il répartit également de façon plus claire ces compétences en compétences exclusives (ex. union douanière, politique commerciale, gestion monétaire de l’euro), compétences partagées avec les Etats membres (ex. marché intérieur, agriculture, transports, environnement), domaines d’appui aux Etats (ex. éducation, culture, industrie, santé). Il donne aussi à l’Union une compétence pour coordonner les politiques économiques des Etats membres et pour définir une politique étrangère et de sécurité commune (y compris une politique de défense commune).

Le titre IV définit les institutions de l’Union, et notamment son « cadre institutionnel unique » constitué du Parlement européen, du Conseil européen, du Conseil des ministres, de la Commission européenne, et de la Cour de justice. C’est là que sont retranscrites plusieurs innovations majeures de la Constitution par rapport au système actuel.
-  Le Président de la Commission serait élu par le Parlement européen (sur la base d’un choix du Conseil européen à la majorité qualifiée), alors qu’il est aujourd’hui choisi par le Conseil européen et confirmé par le Parlement. La Commission serait plafonnée à 15 membres à partir de 2009 (au lieu d’un Commissaire par Etat membre actuellement), sur la base d’une rotation égalitaire entre les Etats. Le Président de la Commission nommerait seul (et non plus avec le Conseil européen) les commissaires, à partir d’une liste de 3 noms proposée par chaque Etat qui doit être représenté. La Commission serait soumise, comme c’est le cas aujourd’hui, à un vote d’approbation collective du Parlement et elle demeurerait responsable devant celui-ci (possibilité d’une « motion de censure »).
-  Il est également institué un « Président du Conseil européen », élu par ce dernier à la majorité qualifiée pour un mandat de deux ans et demi renouvelable une fois. Alors que le Conseil européen est aujourd’hui soumis au système de la présidence tournante (les Etats se succédant tous les six mois pour la présidence), la figure du Président devrait apporter une plus grande stabilité. Ce Président aurait un rôle d’animation et de représentation extérieure. Contrairement à ce qui avait été envisagé un moment, le projet de Constitution n’exige pas expressément qu’il soit un ancien chef d’Etat ou de gouvernement, et ne prévoit pas d’administration spécifique autour de lui (mais ces deux éléments s’imposeront sans doute en pratique). Si le Président du Conseil européen ne doit pas exercer de mandat national, rien n’interdit qu’un jour une même personne exerce la double présidence du Conseil européen et de la Commission (comme l’ont souhaité plusieurs conventionnels).
-  Le Conseil des ministres subit plusieurs innovations. Le Conseil affaires générales est scindé entre un « Conseil législatif et des affaires générales » (pour les affaires internes et les délibérations législatives) et un « Conseil des affaires étrangères ». Cette réforme pourrait aboutir à la création dans les Etats membres de ministres des affaires européennes distincts des ministres des affaires étrangères. Mais le Conseil des ministres peut également se réunir en d’autres formations, si le Conseil européen en décide ainsi. La présidence tournante, abolie pour le Conseil européen, est maintenue pour le Conseil des ministres, les Etats se succédant à la tête des différents Conseils pour des périodes d’au moins un an. Enfin, le projet de Constitution modifie le système de la majorité qualifiée et abandonne le système de pondération des voix entre les Etats, qui avait fait l’objet d’une négociation très difficile au sommet de Nice (2000). A partir de 2009, la majorité qualifiée serait définie comme une majorité d’Etats membres, réunissant au moins 60 % de la population de l’Union.
-  Le projet de Constitution crée enfin un « ministre des affaires étrangères de l’Union », qui serait en fait la fusion des deux postes actuels de Haut représentant pour la PESC et de Commissaire aux relations extérieures. Membre plein de la Commission (dont il serait même vice-président), il serait nommé par le Conseil européen statuant à la majorité qualifiée, en accord avec le Président de la Commission. C’est lui qui présiderait le Conseil des ministres des affaires étrangères. Cette nouvelle fonction devrait apporter un surplus de cohérence et de visibilité à l’action extérieure de l’Union.

Le reste de la Première partie est consacré aux instruments juridiques et à la définition de certaines politiques communes (titre V), aux principes démocratiques du fonctionnement de l’union (titre VI), aux principes budgétaires (titre VII), à l’action de l’Union vis-à-vis de son environnement proche (titre VIII), et aux règles d’adhésion, d’exclusion, et de retrait (titre IX). On retiendra notamment la simplification de la liste des actes juridiques : loi européenne (ancien règlement), loi-cadre européenne (ancienne directive), règlement européen, décision européenne, recommandation ou avis (non contraignant).

Pour la fiscalité et les ressources de l’Union, le principe de l’unanimité est maintenu, ce qui devrait freiner le développement du budget européen. En revanche, le cadre financier pluriannuel, qui régit l’évolution des dépenses, ne sera plus adopté à l’unanimité qu’une seule fois après l’entrée en vigueur de la Constitution.

La Constitution ne retient pas l’idée de Valéry Giscard d’Estaing de créer un « Congrès » rassemblant parlementaires nationaux et européens. Néanmoins, un protocole séparé permet aux parlements nationaux d’exercer un contrôle sur les actes européens au titre du principe de subsidiarité, et même de saisir la Cour de justice.

Deuxième partie : la Charte européenne des droits fondamentaux
La deuxième partie de la Constitution reprend la Charte européenne des droits fondamentaux, telle qu’elle a été proclamée et signée au sommet de Nice (décembre 2000). Ces droits dérivent de la jurisprudence communautaire, établie à partir de la Convention européenne des droits de l’homme et des traditions constitutionnelles des Etats membres. Ils devront être respectés par les institutions de l’Union, et par les Etats membres lorsqu’ils mettent en oeuvre le droit de l’union. Ils comprennent à la fois des droits classiques (dignité humaine, droit à la vie, libertés, égalité...), des droits sociaux (droit à l’éducation, droit de grève, protection contre le licenciement, accès aux services d’intérêt économique général...), des droits « nouveaux » (bioéthique, environnement, bonne administration...).

Par ailleurs, la première partie de la Constitution (art. 7) autorise l’Union à adhérer à la Convention européenne des droits de l’homme, ce qui permettrait à la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg d’exercer un « contrôle externe » en matière de droits de l’homme sur le droit de l’Union, y compris sur la jurisprudence de la CJCE.

Troisième partie : les politiques communes
La troisième partie de la Constitution définit plus précisément les politiques et les actions de l’union : marché intérieur, politique économique et monétaire, sécurité intérieure, action extérieure, défense... Même si la Convention a abouti à un quasi doublement des matières qui seront régies à la majorité qualifiée, elle n’a pas accompli de progrès significatifs en matière de politique sociale, de fiscalité, ou de politique étrangère. Dans ces domaines, l’unanimité continuera d’être la règle. Il n’y a pas non plus eu de progrès important dans la gouvernance économique, qui est pourtant une contrepartie nécessaire à la gestion de l’euro. La France a par ailleurs obtenu le maintien de la règle de l’unanimité dans les négociations commerciales relatives à la culture (ce qu’on qualifie d’ « exception culturelle »).

En matière de défense, le projet de Constitution autoriserait désormais le recours aux « coopérations renforcées » dans trois cas : pour la clause de défense collective héritée du traité de Bruxelles de 1948 (engagement d’assistance mutuelle en cas d’agression), pour la création d’une agence européenne d’armements, et pour l’établissement d’une « coopération structurée » entre des Etats plus désireux d’accomplir les missions les plus exigeantes, et plus qualifiés pour le faire. Cette dernière disposition ouvre à la voie à l’émergence d’un « noyau dur » en matière de défense, dont l’action s’inscrirait cependant dans le cadre de l’Union.

Quatrième partie : les dispositions finales
La quatrième partie s’ouvre par « les signes de l’Union », que les Conventionnels ont ajouté à la fin de leurs travaux, et qu’ils n’ont pu intégrer à la première partie, déjà terminée. Il s’agit du drapeau de l’Union (le cercle de douze étoiles d’or sur fond bleu), de l’hymne de l’Union (tiré de l’Ode à la joie de la neuvième symphonie de Beethoven), de la devise de l’Union (« unie dans la diversité »), de la monnaie de l’Union (l’euro), et de la journée de l’Europe (9 mai).

Les autres articles de cette partie comprennent notamment les habituelles dispositions générales et finales d’un traité (procédure de révision, ratification et entrée en vigueur). Le traité instituant la Constitution est conclu pour une durée illimitée. Aucune solution n’est prévue à ce stade si l’un des Etats membres ne ratifiait pas la Constitution, à l’issue par exemple d’un referendum négatif (comme ce fut déjà le cas dans le passé pour le Danemark et l’Irlande).

Retrouvez l’intégral du texte de la Constitution européenne sur le lien suivant :

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