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  4. Sans OGM, une filière en voie de disparition ?

Compte-rendu de la conférence OGM

Février 2006

Avertissement : ce compte-rendu n’a pas fait l’objet d’une relecture de la part des conférenciers

Introduction

Questions majeures :
-  Faisabilité de la séparation des filières OGM et non OGM ?
-  Quel degré de fiabilité peut-on attendre ?
-  Pertinence de la séparation de la filière pour tous les acteurs ?

Présentation des intervenants

Egizio VALCESCHINI
Economiste à l’INRA, a coordonné il y a quelques années un programme dont il va parler qui s’appelait « faisabilité et pertinence d’une séparation sans OGM ».

Antoine MESSEAN
Agronome à l’INRA. Membre depuis 13 ans de la commission du génie biomoléculaire qui a traité de l’évaluation du risque des OGM. Coordonne projet européen sur les impacts des OGM en agriculture.

Arnaud APOTHEKER
Chargé de la campagne OGM pour Greenpeace France. « Je pense qu’on m’a demandé de venir ici car il fallait bien un opposant aux OGM, donc j’essaierai d’expliquer pourquoi. »

Philippe GRACIEN
Directeur du GNIS (interprofession des semences) qui réunit l’ensemble des acteurs économiques du monde des semences en France (entreprises, agriculteurs qui produisent des semences et ceux qui les utilisent).

Conférence

Egizio VALCESCHINI

L’idée de séparer les filières est une idée toute récente. J’en ai pour preuve que les chercheurs de l’INRA ont commencé à se pencher sur la question à partir de 1999 et à évaluer s’il était pertinent du point de vue des citoyens et des consommateurs et des pouvoirs publics de faire cette séparation. Est-ce que ça avait un intérêt ? S’il y en avait un, est-ce que c’était quelque chose d’envisageable concrètement, du point de vue opérationnel ? Ces questions ont beaucoup évolué mais sont encore d’actualité.

Je vais d’abord rappeler la définition aujourd’hui communément acceptée de la différence entre les filières sans OGM et non OGM :
-  Sans OGM = aucune trace d’OGM dans le produit, c’est la pureté absolue qui n’existe pas. Cette idée a quasiment disparu, simplement parce qu’il est impossible de tenir 0 OGM, que ce soit biologiquement ou économiquement parlant.
-  Non OGM = repose sur le seuil de dissémination fortuite = on accepte la présence d’OGM dans une proportion très faible. On a pour cela fixé un seuil de 0.9%

Quels sont les principaux acquis du programme dont je vais parler qui semble valides aujourd’hui et quelles sont les questions qui restent en suspens ?
La séparation est compliquée, quel que soit le seuil car :
-  les exploitations agricoles et les filières agroalimentaires présentent des structures très atomisées (faiblement concentrées)
-  les flux de matières premières agricoles sont largement internationalisées ;
-  du champ à l’assiette, le transport des matières agricoles et alimentaires est un travail d’assemblage et de désassemblage.

Le problème de cette séparation est qu’il y a une obligation :
-  de résultat (seuil fixé par l’Europe à 0.9%), ingrédient par ingrédient
-  de moyen : garantir à chaque stade de la filière qu’il n’y a pas de contamination Cette exigence est particulièrement élevée (la plus élevée jamais demandée dans le monde de l’agro-alimentaire). Cela nécessite un système de traçabilité et de contrôle particulièrement forts qui associe tout ce qu’on connaît aujourd’hui en termes de traçabilité que ce soit par origine ou par processus.

Question des coûts
Il y a plusieurs types de coûts : Les coûts de séparation et de contrôle reposent surtout sur les secteurs les plus amonts des filières soit :
-  la production de semences
-  la production agricole
-  la première transformation agro-alimentaire Les coûts se transmettent très faiblement au niveau aval des filières : cela se traduit par des surcoûts pour le consommateur très faibles voire inexistants : surcoûts de 6.5 à 14% de la valeur des produits.

Ces coûts sont sensibles à 3 éléments :
-  le niveau de seuil de tolérance : en-dessous de 1%, les coûts sont démultipliés et croissent de manière exponentielle (le seuil de 0.9% est inspiré en partie de cette étude). En 1999, le seuil était de 3%.
-  la « pression OGM ». Aujourd’hui, il y a très peu de cultures OGM en Europe. Si le nombre d’espèces OGM et/ou d’hectares en OGM augmentent, il sera de plus en plus couteux d’assurer le même seuil de 0.9%
-  les parts et volumes respectifs des produits OGM et non OGM (impact si les importations d’OGM augmentent)

Remarque : nous ne sommes pas dans une situation bipolaire (pour/contre les OGM) mais dans une situation tripolaire :
-  1/3 des consommateurs boycottent les produits s’ils contiennent des OGM
-  1/3 des consommateurs continuent à acheter ce produit si son prix baisse considérablement
-  1/3 des consommateurs continuent à l’acheter à prix constant ou supérieur
Cette étude a fait progresser les connaissances sur les filières OGM/non OGM mais ne répond pas au débat de fond : est-il opportun de diffuser l’innovation OGM ?

Philippe GRACIEN

La culture des plantes transgéniques est une réalité dans le monde depuis 1996. On compte plus de 90 millions d’hectares OGM dans le monde, répartis dans 21 pays. Les principaux producteurs sont l’Amérique du Nord (US, Canada), l’Amérique du Sud (Argentine, Brésil) et les pays d’Asie commencent à être de plus en plus concernés (la Chine notamment).

Les principales plantes cultivées en OGM sont : le soja, culture OGM la plus répandue, le maïs, le colza ou canola, le coton. Ces cultures représentent 99% des surfaces d’OGM commercialisés.

Deux types de caractères peuvent être conférés aux plantes transgéniques :
-  soit des résistances aux insectes,
-  soit une résistance aux herbicides.

Depuis 10 ans, la proportion de cultures OGM a progressé de 10 à 15% par an au niveau mondial.

En Europe, la situation est différente : une seule espèce est autorisée, le maïs BT, et ceci pour une seule raison, la résistance à la pyrale. Ce maïs est essentiellement cultivé en Espagne où on en compte 6000ha en 2005, soit 10% de la surface totale de maïs. La France et d’autres pays (Allemagne, République Tchèque, Portugal) ont repris la culture du maïs OGM en 2005 sur des surfaces extrêmement modestes.

Le but de la coexistence des filières OGM/non OGM est de permettre à différentes cultures de cohabiter. A noter que :
-  le 0% OGM est impossible, c’est pourquoi nous défini un seuil
-  l’idée de coexistence n’est pas nouvelle (on fait déjà coexister différents types de maïs non transgéniques par exemple). Il s’agit ici d’établir des règles de coexistence pour ne pas dépasser le seuil de 0.9%. On peut s’appuyer sur l’expérience de l’Espagne, pays comparable à la France en termes de superficie et de contexte. L’exemple des Etats-Unis est pour nous moins intéressant, puisqu’il n’y a pas le tissu d’exploitations agricoles qu’on connaît en Europe. Il est donc beaucoup plus facile d’isoler les exploitations.

Voici un exemple de règles de coexistence édictées par l’Espagne. Un texte gouvernemental prévoit ainsi un certain nombre d’obligations pour les agriculteurs producteurs d’OGM :
-  déclaration des surfaces OGM ;
-  information des voisins ;
-  utilisation de produits contrôlés ;
-  conserver un certain nombre de documents pour assurer la traçabilité ;
-  appliquer des mesures techniques pour le semis, la récolte, les transferts, le nettoyage des matériels pour éviter les mélanges (car les mélanges ne concernent pas seulement le pollen ; il y a d’autres risques qui concernent différents stades, de la récolte au silo).
-  mesures techniques pour limiter la diffusion du pollen d’une parcelle à l’autre : règles :

  • d’isolement,
  • de séparation entre les cultures transgéniques et conventionnelles de 140m,
  • de mise en place de 4 rangs de maïs tampon pour récolter le pollen indésirable au bord des champs (dans certains cas, on peut aussi envisager de décaler les dates de semis)
  • pour éviter le problème de résistance, mise en place de zones refuge : 20% de la parcelle est cultivée en maïs conventionnelles, dans le but d’éviter, dans le cas du maïs BT, l’apparition de souches de pyrales résistantes.

Un projet de loi gouvernemental a été déposé devant les assemblées, approuvé par le conseil des ministres et sera discuté prochainement au Parlement. Dans ce projet il y a tout un chapitre sur la coexistence qui prévoit que, par voie réglementaire, les pouvoirs publics définiront culture par culture des règles de coexistence.

Arnaud APOTHEKER

Pourquoi être opposé à toute dissémination des OGM dans l’environnement ? Parce que selon Greenpeace, la coexistence est impossible.
En effet, une fois que les OGM sont disséminés dans l’environnement, ils créent une pollution génétique irréversible et automultiplicatrice : les gènes que l’on introduit se retrouvent dans les espèces voisines ou même sauvages.
Ce phénomène est irréversible. Pour l’instant, il n’y a pas de problème, mais si l’on s’aperçoit dans 10 ans qu’un gène est toxique pour l’environnement, il sera alors impossible de revenir en arrière et il faudra apprendre à vivre avec.

Il est important de noter que la pollution ne se fait pas uniquement par le pollen, mais aussi via les semences et tout au long de la chaîne de production alimentaire.

Par contre, Greenpeace ne s’oppose pas à la fabrication ou à l’utilisation d’OGM en milieu confiné.

Alors que les OGM sont sur le marché depuis 10 ans, on a déjà recensé plus de 100 épisodes de contamination génétique, principalement aux US :
-  épisode du maïs « starlink » fabriqué par la compagnie Aventis (maintenant Bayer) destiné uniquement pour l’alimentation animale car supposé allergène pour les êtres humains et qu’on a retrouvé dans 300 marques de produits alimentaires aux US. On a du le retirer d’urgence des magasins
-  on a retrouvé dans des silos de soja du maïs OGM destiné à produire un médicament
-  on a retrouvé dans des expérimentations (encore plus préoccupant) de Syngenta sur du maïs BT11 autorisé à l’expérimentation et à l’importation dans l’UE une certaine proportion d’un autre maïs le BT 10 qui lui n’avait autorisé ni à l’expérimentation ni bien entendu au commerce. La société a admis que cela faisait 4 ans que les essais de BT 11 étaient contaminés par un autre événement ;
-  un dernier exemple pour montrer que les cas de contamination sont très généralisés : au Japon, on trouve du colza OGM qui pousse spontanément près des ports, alors que le Japon ne produit pas de colza du tout... C’est pourquoi nous avons une très grande réticence à laisser les OGM sortir des laboratoires.

On s’aperçoit que c’est depuis 1996 qu’on essaie de nous imposer les OGM. Jusqu’en 1996, il n’était pas question de règle de coexistence, de seuil, le public n’était pas informé. Depuis, la pression de la société a obligé les pouvoirs publics à mettre en place un système d’étiquetage sur les produits alimentaires. On peut remarquer que le règlement européen est apparu en 2004 alors que ça faisait 8 ans qu’on importait des OGM.

Le public ne veut pas d’OGM. Pourtant, différents moyens sont utilisés pour les lui imposer :
-  Au Brésil, le soja OGM, longtemps interdit, a d’abord été cultivé grâce à la contrebande de semences en provenance d’Argentine. Mis devant le fait accompli, le gouvernement a autorisé le soja transgénique. Il est en train de se passer à nouveau la même chose avec le maïs.
-  En France, les agriculteurs achètent des semences OGM en Espagne, puis y revendent leurs productions ;
-  Récemment, le panel de l’OMC a donné globalement raison à l’Argentine, aux Etats-Unis et au Canada dans leur effort d’imposer les OGM à l’UE ; enfin partiellement car le jugement est plus complexe que blanc ou noir ;
-  Il y a en Europe une demande très forte des consommateurs pour l’étiquetage des produits alimentaires contenant des OGM ainsi que de ceux issus d’animaux alimentés par des produits OGM (majoritaires). Or ce dernier point a été refusé lors de la réglementation sur l’étiquetage et cela fait même partie des recommandations de la mission parlementaire de ne pas étiqueter des produits issus d’animaux ayant consommé des OGM, alors même qu’une grande partie du public le réclame.

La coexistence est à mon sens la possibilité pour les systèmes agraires préexistants ou biologiques de continuer à fonctionner comme avant l’arrivée des OGM, c’est-à-dire laisser la possibilité au public d’avoir de produits sans OGM (0%).
Si l’on nous dit que c’est impossible, alors il ne faut pas autoriser la diffusion des OGM.

Antoine MESSEAN

« Chaque agriculteur doit pouvoir choisir le mode de production qu’il souhaite, conventionnel, biologique ou transgénique » Commission Européenne, 5 mars 2003

Une première réglementation a été mise en place au milieu des années 80 puis a subi une évolution importante dans les 5 dernières années.
4 éléments importants ont été ajoutés au dispositif existant :
-  renforcement de l’évaluation, a priori de façon à ce que l’on puisse prendre en compte les effets à long terme et les effets indirects des OGM à la fois sur l’environnement et sur la santé. C’était implicite, c’est devenu explicite dans la directive 2001-18 notamment sur l’environnement : dans une des annexes, on trouve l’ensemble des questions que doivent se poser les évaluateurs en ce qui concerne les effets à long terme et les effets globaux. A titre d’exemple, il est prévu que l’on doit pouvoir renseigner sur l’impact que peuvent avoir des cultures OGM et des expérimentations sur les cycles biogéochimiques (carbone, azote ...). Il y a en permanence une intéraction entre la réglementation (qui a eu tendance à réagir aux importations) et les connaissances scientifiques.
-  traçabilité
-  l’étiquetage obligatoire
-  la coexistence

Le projet de loi qui se discute en France, 4 ans après son adoption au niveau européen, doit intégrer la directive 2001-18 et les conditions dans lesquelles la coexistence va être organisée au niveau français. Sur la problématique de la coexistence, on part du principe que chacun doit pouvoir choisir. Dans le débat OGM, on est passé d’une position où l’on regarde les impacts, il y a 20 ans, à une position de libre choix des productions. On donne une liberté de choix aux consommateurs et aux producteurs de soutenir le mode de production qu’ils souhaitent.

La coexistence n’est pas un problème nouveau mais avec les OGM, il y a des différences notoires, car :
-  cela concerne l’ensemble des productions et non pas seulement les productions de niches particulières
-  cela concerne des marchés déjà existants
-  les seuils sont plus bas que ceux appliqués pour les filières conventionnelles.
-  il s’agit d’un même marché : y-a-t-il une valeur ajoutée apportée par une culture OGM ?

Les sources de pollution proviennent :
-  des semences
-  de ce qui se passe au champ, via le pollen et/ou les graines
-  du matériel : semis, récolte, transport, ...

Pour connaître les impacts de l’introduction des OGM, on procède à des expérimentations au champ, sous serre. Mais cela n’est pas suffisant pour connaître les effets à long terme et les effets sur les écosystèmes. En effet, l’écologie microbienne des sols ou la diversité des pratiques agricoles ne peuvent pas être reproduites en serre.

C’est pourquoi les modélisations ont une très grande importance afin de pouvoir prendre en compte :
-  l’effet de la fragmentation des paysages et des pratiques agricoles.
-  les rotations
-  ce qui se passe dans le sol, etc.

On peut ainsi faire des hypothèses quant à l’introduction de maïs OGM dans un paysage agricole donné. Pour cela, on extrapole :
-  à l’échelle du champ, en faisant varier les :

  • dates de floraison
  • distances d’isolement
  • pratiques de zone tampon (largeurs des bordures de maïs non OGM dans un champ OGM)
  • directions du vent
    Cela permet d’établir une table de décision, avec en ligne ces différents paramètres, et en colonne, les différents seuils d’acceptation des OGM dans la filière non OGM.

-  à l’échelle du paysage : test de l’effet sur les parcelles voisines de ces différentes mesures. On prend ici en compte la pollinisation croisée.

Pour la culture de colza OGM, il est plus compliqué de mettre en place un modèle : à la différence du maïs, il faut prendre en compte un phénomène de persistance dans le temps, lié aux graines.

Certaines pratiques favorisent la diffusion des OGM. D’autres, au contraire, en s’appuyant sur la coopération entre agriculteurs, permettent de réduire les risques. Il est donc important, en se référant aux pratiques actuelles, d’étudier les effets des différentes pratiques au niveau individuel et au niveau collectif.

En conclusion, la science a besoin de travailler pour mieux connaître, entre autres la dispersion du pollen. Il est important :
-  de faire des diagnostics exploitations par exploitations
-  d’envisager des solutions techniques qui passent par la coopération entre voisins
-  de poursuivre les modélisations

D’un point de vue politique, la coexistence est finalement une porte de sortie assez confortable : elle permet de ne pas décider, de ne pas se poser la question des modèles de production que l’on souhaite. Il y a pourtant nécessité de débattre sur le choix des modèles de production pour déterminer ainsi quel peut être l’intérêt de l’innovation OGM. Il est paradoxal de débattre sur l’opportunité de séparer les filières, alors que la question de fond sur les risques éventuels des OGM n’est pas résolue.

Questions

1) D’un médecin :
Des effets des OGM sur la santé ont-ils déjà été mis en évidence ?

A.A : nous n’avons pas recensé à ce jour d’effet sur la santé humaine. Ce qui sert de repère, c’est l’exemple des américains qui en consomment depuis 10 ans, et il n’y aucun effet. Mais on n’a pas échantillonné la population américaine...
D’autre part, nous ne disposons pas d’élément pour juger sur le long terme. Toutefois, il y a des études sur les animaux qui posent question :
-  l’introduction dans des petits pois d’un gène normalement présent et non allergène dans le haricot a provoqué des allergies : un nouvel environnement génétique peut-il rendre un gène allergène ?
-  étude sur des rats : on a observé des effets au niveau du sang et des reins, liés à un maïs. Moncento a dit que ce n’était pas significatif.

E.V : Je voudrais faire remarquer que la séparation OGM/non OGM n’a de sens que si les questions sur la santé humaine et l’environnement sont élucidées. Ces questions relèvent d’un autre niveau de décision.

2) D’un étudiant à l’IEDES :
Je voudrais faire remarquer que ce soir les agriculteurs ne sont pas représentés, ce qui pose problème dans la table ronde et qui est dommage pour une école d’agronomie...
J’ai l’impression que la liberté de choix OGM/non OGM de l’agriculteur est biaisée car vous nous dites en même temps que la pureté 0 n’existe pas... Comment voyez-vous cette incohérence ?

A.M : pour les impacts sur l’environnement, cela dépend du caractère introduit et de la culture : on ne peut pas traiter de la même façon le maïs et le colza. Comment résoudre l’équation ? Si l’on veut le 0 absolu, c’est clair, la coexistence est impossible. Ce qui me semble essentiel, c’est de ne pas oublier que :
-  ce sont les impacts qui sont importants
-  ce que l’on prédit, c’est en tenant compte d’un comportement moyen. Donc forcément, il y a des accidents (ex : largeurs des bandes non OGM non conformes)
De toutes façons, il se produira des choses dans la nature, d’où la mise en place d’un système de suivi (biosurveillance, monitoring) pour continuer l’évaluation. Mais il ne peut pas y avoir de garantie totale, tellement il y a d’interactions dans les écosystèmes.

P.G : la réglementation apporte des réponses :
-  pour revenir sur la question précédente, les effets sur la santé : la réglementation s’appuie sur le principe de précaution, avec évaluation de la toxicité, de l’allergicité
-  si l’agriculteur est victime d’une présence fortuite dans son champ : le projet de loi impose un cahier des charges au cas par cas, culture par culture. L’agriculteur producteur d’OGM devra souscrire une garantie financière pour couvrir le préjudice économique subi par son voisin s’il est obligé de faire étiqueter OGM sa production (si > seuil). Cela comblera la perte de valeur (indemnité = prix non OGM espéré - prix de vente OGM). A terme, cette garantie devrait être un produit d’assurance.

3) D’une juriste :
Comment faire appliquer un cahier des charges national au niveau local, qui tienne en même temps compte de la diversité des situations (+/- de vent, +/- de montagne dans la région). Comment dans ces cas-là, la distance fixée entre cultures OGM/non OGM peut-elle être fixée de manière juste ? Ne peut-on faire quelque chose de plus régional ?
D’autre part, je voudrais faire remarquer que la question de l’indemnisation des agriculteurs me semble être un des points les moins bien faits dans le projet de loi car l’indemnisation ne concerne que la différence de prix entre le prix auquel l’agriculteur aurait pu vendre et ce qu’il a effectivement vendu. Mais qui va payer l’échantillonnage de test de contamination ? Et qu’en est-il des préjudices permanents (ex : si colza bio contaminé) ?

A.M : Comment une mesure nationale tient-t-elle compte de la diversité des situations ? En prenant les sites les plus défavorables et en fixant les mesures à partir de ceux-ci. Mais c’est vrai, on est allé un peu vite quand on a voulu réglementer. Séparer implique d’étudier les impacts environnementaux, et on n’en est pas là dans le cas de coexistence. Sur l’aspect économique, les pouvoirs publics ont mis la barre haute.

E.V : Je voudrais souligner 2 points.
Le premier, et c’est une des leçons des filières de spécialité, c’est qu’il faut un pilote au niveau régional. Un pilote plus ou moins officiel, quelqu’un qui gère la planification des cultures dans la région. Aujourd’hui, on ne sait pas qui en a la charge. C’est un trou béant. Il va falloir réfléchir et statuer là-dessus.
Deuxième point : il y a 2 solutions. Soit on revient sur la décision d’appellation d’origine et du bio (qui implique 0%OGM, ce qui est impossible), soit on organise au niveau régional des zones avec et des zones sans OGM.

4) D’un agronome ayant travaillé dans les pays en voie de développement :
Lorsqu’on parle de diffusion d’OGM, quel est l’intérêt de ceux qui veulent promouvoir les OGM ? Il ne faut pas se leurrer, c’est à la fois :
-  une source de profit considérable
-  détenir un pouvoir pour les denrées stratégiques Face à cette action de promotion, l’UE est à même de résister et de faire valoir le droit à la différence. Mais dans les pays en voie de développement ou même dans les pays émergents, les pressions des lobbyings OGM sont considérables. Or, ces pays sont endettés, donc face aux US, ils sont dans un état de dépendance. Quel mécanisme international pourrait permettre aux PED d’avoir le droit de choisir ?

A.A : Le seul instrument international qui existe est le protocole sur la biodiversité, adopté en 2000. Il instaure le principe de précaution comme base qui donne en principe le pouvoir à un pays de dire non aux OGM. Mais les Etats-Unis, le Canada, l’Argentine qui sont les plus gros producteurs d’OGM n’ont pas signé ce protocole. Les relations entre l’OMC et le protocole sont difficiles. Il est écrit par exemple dans un article que le protocole ne peut pas prendre le dessus sur le commerce.

La prochaine réunion au sujet de ce protocole est en mars prochain. L’enjeu est de décider si une documentation doit ou non accompagner les produits OGM.
La situation est de toute façon délicate : le Brésil était avant « pro sécurité », depuis qu’il exporte des OGM, son point de vue a changé...

P.G : Il convient de ne pas trop caricaturer les semenciers. Le métier de semencier est de faire améliorer des plantes pour aider les agriculteurs, et le consommateur.
La transgénèse est une technique nouvelle mais elle n’est pas la seule, ce n’est pas la panacée. On travaille de plus en plus finement sur le génome des plantes pour déterminer si les gènes agissant sur un caractère sont intéressants d’un point de vue biologique. Il ne faut pas vouloir demander à la transgénèse plus que ce qu’elle ne peut donner.

E.V : Je ne sais pas si les PED sont en mesure de se défendre mais l’Europe déjà a du mal. Si elle s’en sort, cela peut aider les autres.
La ligne de partage n’est pas pour ou contre OGM mais pour ou contre donner le choix. L’Europe a décidé de donner le choix. D’où la nécessité d’organiser les filières. En effet, s’il y a eu dissémination entre le Brésil et l’Argentine, c’est précisément parce qu’il n’y a pas d’organisation et on ne peut pas organiser cette séparation sans s’appuyer sur des connaissances scientifiques.

5) De Mr Plavinet, enseignant de droit à l’INA P-G :
En étudiant le projet de loi, je conseillerais aux agriculteurs de ne pas produire d’OGM. Et ceci pour plusieurs raisons :
-  le dispositif de fond de garantie proposé est bidon car misérable (cf. site de légifrance)
-  le fond d’indemnité ne sera pas exclusif mais optionnel
-  si la contamination est comprise entre 0 et 0.9%, il n’y a pas d’indemnité, or pour un agriculteur bio, cela est très dommageable.
-  Il est prévu qu’un système d’assurance prenne le relais, or cela n’est pas sûr du tout.

E.V : En effet, la question de responsabilité ne peut pas être régulée par les assurances car la responsabilité doit être collective.

6) D’une étudiante en 3ème année à l’INA P-G, spécialité AGER :
Qu’en est-il des contrats entre les filières semences et les producteurs ?

P.G : Le seul problème pour l’agriculteur est de trouver des débouchés pour ses semences de maïs OGM (puisqu’il ne peut s’agir que de cela en France). Or, il n’y en a aucun en France, il serait obligé de vendre sa production en Espagne.
Par exemple, la filière amidon ne veut pas d’OGM dans ses produits donc la situation est clair. Sur la question d’un manque de pilote au niveau régional comme l’a fait remarquer Mr Valceschini, je ne serai pas aussi pessimiste : ce sont les acteurs économiques (coopérative, etc...) qui organisent les systèmes de cultures.

7) D’un étudiante en 3ème année à l’INA P-G, spécialité AGER :
L’exemple des allergènes cités pose la question de la responsabilité. Y a t-il des mesures prises contre ces risques d’allergicité ?

A.M : 2 éléments de réponse :
-  Il est importance qu’il y ait un filtre lors de l’évaluation. Il est essentiel d’évaluer s’il existe des protéines allergènes dans la plante. Pour cela, on compare les séquences qu’on veut introduire et les séquences d’allergènes connus. Mais cela n’est pas un test très puissant car c’est la configuration de la protéine, qui ne dépend pas de la séquence mais de son environnement d’expression, qui lui confère son caractère allergène.
-  Le suivi a posteriori : développer l’allergovigilence, comme il existe la pharmacovigilance.

8) D’un étudiant en 2ème année à l’INA P-G :
Qui vend les OGM ? Car les multinationales américaines sont très puissantes et peuvent contourner la législation européenne, ceci renforcé par la corruption qui existe toujours. N’y a t-il pas un risque de changer l’agriculture française ?

P.G : Nous avons la chance que le secteur semences soit important en France, et il faut continuer à le conforter si l’on veut pouvoir continuer l’amélioration des plantes en France. Il serait dommage de détruire le travail de ceux qui pensent que l’amélioration génétique a besoin de la transgénèse.

E.V : La question sur la corruption vaut pour toutes les législations. On peut dire que sur les OGM, il faut encore approfondir les connaissances, mais beaucoup de travail a déjà été fait.

A.A : Il ne faut pas perdre de vue que dans les semenciers, il n’y a que 5 à 10 multinationales, qui sont des entreprises d’agrochimie ayant racheté le secteur des semences (ce qui n’est pas le cas en France). Ces compagnies disposent maintenant également d’un oligopole alimentaire. Or elles ne sont jamais montrées très soucieuses de l’environnement.
Il est important de comprendre que les OGM posent un problème spécifique : celui de l’irréversibilité et de l’auto-multiplicabilité des OGM : si on laisse les cultures OGM se développer, le seuil de 0.9% ne tiendra plus, rien que pour des questions économiques.

9) D’un étudiant en 3ème année à l’INA P-G, spécialité AGER :
On peut dire qu’il y a 3 types d’OGM :
-  ceux destinés à l’alimentation humaine
-  ceux destinés à l’alimentation animale
-  ceux à but thérapeutique
Ne peut-on donc pas aller au-delà du débat pour ou contre les OGM en distinguant les différentes utilisations ? D’autre part, j’ai l’impression qu’il y a d’un côté ceux qui veulent le 0% de pureté qui est impossible, de l’autre ceux qui veulent plutôt gérer les risques, ce qui parait plus réaliste, mais qui manque de connaissances scientifiques. Et dans tout ça, les pouvoirs publics sont un peu perdus...

A.M : Au niveau politique, on traite au cas par cas. La difficulté est que la thématique des OGM concerne de nombreux domaines :
-  La santé
-  L’environnement
-  Le futur de l’agriculture française
-  Etc.
Ce n’est pas aux scientifiques de faire la balance bénéfices/risques mais aux politiques et aux citoyens.

10) D’une étudiante en 3ème année à l’INA P-G, spécialité développement :
Je me demandais quelle est la viabilité des cultures OGM pour les agriculteurs, notamment au niveau des coûts de production.

P.G : Si le soja OGM existe aux Etats-Unis, c’est bien que les agriculteurs y ont trouvé quelque chose, par exemple cela donne une certaine facilité dans la culture du soja car on peut le semer directement après la récolte de maïs. C’est pourquoi cette culture OGM a été adoptée si facilement.
Mais les agriculteurs disposent aussi de d’autres alternatives. En Europe, on ne peut cultiver que le maïs Bt. Ainsi, pour lutter contre la pyrale dans la culture de maïs, les agriculteurs ont 3 possibilités :
-  l’emploi d’insecticides
-  la lutte biologique
-  le maïs résistant à la pyrale

E.V : La synthèse dont je vous ai parlé dans mon exposé a montré que les OGM présentaient des bénéfices :
-  2/3 remontent aux fournisseurs de semences
-  1/3 sont conservés par l’agriculteur. Pas facile d’évaluer les coûts de la séparation puisqu’aux US il n’y a pas d’organisation de cette séparation. Mais comme on l’a vu, on peut avancer plusieurs facteurs jouant un rôle, notamment la « pression OGM » (plus il y a d’OGM, plus les coûts de séparation vont augmenter).
Mais je le répète, le 0 OGM est impossible, car déjà depuis longtemps on importe du soja OGM...

11) D’une étudiante en développement à Paris-Sud :
En Europe, il y a des agriculteurs qui ressèment une partie de leur récolte. En mettant en place de tels contrôles pour la coexistence des filières, est-ce que ce n’est pas donner plus de pouvoir aux semenciers et enlever aux agriculteurs ce droit à sélectionner eux-mêmes (qui deviennent dépendants de l’approvisionnement en semences OGM) ?

P.G : Je crois qu’il y a là besoin de redorer l’image des semenciers... ! Notre métier c’est d’aider les agriculteurs à vendre leurs produits dans les meilleures conditions, de satisfaire le consommateur.
Dans ce que vous venez de dire, je distingue 2 choses :
-  L’aspect sélection de la part des agriculteurs : ok mais dans ce cas il faut devenir sélectionneur, c’est un métier, ça s’apprend.
-  Le fait de ressemer, et là c’est autre chose. Les OGM ne privent pas les agriculteurs de cette liberté de ressemer une partie de leur récolte. Mais c’est la même question qu’avec les variétés hybrides qui n’ont pas le même pouvoir (rendement supérieur) que lorsqu’on ressème...

A.A : quelques remarques :
-  les filières semences sont aux mains des agrochimistes qui veulent avoir un retour sur investissement...
-  il y a de moins en moins de biodiversité dans l’agriculture car les semenciers vendent de moins en moins de semences.

A.M : Je voudrais souligner que les semences de ferme contribuent beaucoup plus à augmenter le risque de diffusion d’OGM : ces semences ont pu être contaminées par des cultures voisines. Acheter des semences certifiées permet à l’inverse de remettre les compteurs à zéro.

12) Plutôt que de dépenser de l’argent pour développer les OGM, ne peut-on pas utiliser tout l’éventail déjà existant et en particulier réhabiliter les variétés anciennes ? Ou bien a-t-on besoin des OGM pour répondre à des problèmes spécifiques ?

P.G : On ne peut se passer de l’amélioration des plantes.

A.A : Il est certain qu’on devrait réhabiliter les variétés anciennes. De plus, on devrait refaire de la sélection à la ferme et pas seulement de la sélection de laboratoire.
D’autre part, je pense que dans 20 ans, il n’y aura plus d’OGM car ceux-ci ne pourront plus répondre aux caractères recherchés dans 20 ans. Les OGM sont à mon sens une technique rudimentaire.

Conclusion

P.G : Les ressources génétiques sont notre patrimoine car c’est grâce à elles qu’on peut améliorer les semences.

A.A : Il faut réhabiliter les variétés anciennes et faire de l’amélioration à la ferme, de l’amélioration spécifique à l’agrosystème dans lequel elles sont utilisées. Je crois par ailleurs que les OGM ne sont pas l’avenir, c’est déjà dépassé.

A.M : Quel avenir pour les OGM ? Je partage l’avis d’Arnaud Apotheker. Cependant, depuis le 1er Novembre 1996 (cargo soja), on n’a jamais autant investi dans les OGM, pour connaître les gènes et leurs fonctions. Cette problématique a au moins donc permis d’augmenter nos connaissances sur ce sujet, tout comme sur le problème de la législation autour du vivant.

Je voudrais en tout cas souligner le fait qu’à mon avis, nous n’avons pas fait assez de recherches et légiférer trop tôt.

C’est vrai, il y a beaucoup à creuser en termes de valorisation des agrosystèmes. Il faudrait rééquilibrer les recherches. Il faut une protection intégrée (pas seulement au niveau de l’entrée des OGM) mais ça ne veut pas dire qu’à un moment donné dans l’avenir, il ne faudra pas utiliser les OGM, ou les technologies qui suivront.

Enfin, il me semble important d’avoir à l’esprit qu’on ne peut évaluer une technique sans le système dans lequel cette technique s’opère.

E.V : Je vais donner une conclusion à partir de mon expérience de chercheur. Quand en 1998, j’ai proposé de travailler sur la problématique de séparation des filières OGM/non OGM, on ne m’a pas pris au sérieux. Même auprès des chercheurs, il a fallu du temps pour que cela devienne au goût du jour, et cela a encore pris plus de temps pour arriver au niveau des pouvoirs publics. Je ne sais pas si les OGM c’est l’avenir, mais c’est l’avenir des connaissances qui m’intéresse. Et en ce sens, les OGM ont été un moteur de création de nouvelles connaissances, et ça c’est positif.